Vergers hautes tiges

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Description

Principalement situés en zone agricole, les vergers haute-tige sont des cultures arborées destinées à la production de fruits, aujourd’hui majoritairement cantonnées au rôle d’auto-approvisionnement ou de production de niche. Ces vergers se caractérisent par des alignements, plus ou moins lâches, d’arbres taillés sous une forme dite « libre »10, c’est-à-dire composée d’un axe principal, puis de branches charpentières* et sous-charpentières* permettant d’obtenir une couronne supportant les échelles et permettant la pénétration de la lumière. Il existe différentes formes de taille qui s’adaptent aux espèces notamment. Contrairement aux vergers en production intégrée ou biologique, il n’y a pas de système de guidage de leur structure et la densité de plantation est de maximum 120 pieds par hectare.

La catégorie des vergers haute-tige comprend les fruitiers dont les premières branches charpentières* se développent à près de 1,8 m du sol3, 10 et dont les arbres adultes atteignent en moyenne huit à dix m de haut10. Par extension, cette catégorie peut également intégrer quelques arbres fruitiers conduits sous forme « mi-tige » (tronc à hauteur de 1,2 à 1,5 m) ou « basse-tige » (tronc à hauteur entre 0,4 et 0,8 m). L’intérêt biologique est moindre dans ces deux derniers cas, car les arbres mi-tige et basse-tige vivent moins longtemps et présentent moins d’étages (niveaux différents de hauteur dans la végétation) pouvant accueillir les espèces vivant dans ce type de vergers.

A Genève, les principales essences exploitées dans les vergers haute-tige appartiennent à la famille botanique des rosacées. Ils produisent des fruits à pépins, comme c’est le cas des pommiers (Malus domestica), des poiriers (Pyrus communis) et des cognassiers (Cydonia oblonga) ou des fruits à noyau comme les cerisiers (Prunus avium) ou les pruniers (Prunus insititia, Prunus domestica). Il est également possible de rencontrer des vergers de noyers (Juglans regia). Les arbres de vergers haute-tige sont productifs après huit à dix ans pour des pommiers ou des pruniers, mais seulement après quinze à vingt ans pour des poiriers ou des cerisiers15! La mise en place d’un verger haute-tige représente un investissement sur le long terme15, 16, et des soins adaptés durant les premières années sont capitaux pour définir la forme et la santé des arbres et donc leur future qualité de production. Au sol, les surfaces herbacées sont généralement exploitées en prairie de fauche5 (prairies semi-naturelles extensives, prairies artificielles extensives). Elles peuvent parfois être pâturées5, notamment en fin de saison.

Où observer

Un peu partout en zone agricole. Par exemple au lieu‑dit les Châtaigniers (Plan-les-Ouates).

Quand observer

En avril-mai, pour observer la floraison des fruitiers et en particulier les fragiles fleurs de cerisiers.

Profil

Surface en hectares
115.1
Pourcentage du canton occupé
0.40%
Humidité
-
Acidité
-
Richesse en nutriments
-
Granulométrie
-
Naturalité
Value
3

Le saviez-vous?

La pomme apparaît historiquement dans beaucoup de symboles. Tandis qu’en latin « malus » signifie pomme ou mauvais, le mot « pomme » a été plus largement utilisé pour les fruits, à l’exemple de la tomate, qui fut d’abord nommée « pomme d’amour ». La pomme apparaît dans de nombreuses religions avec un caractère mystique ou interdit. Dans la tradition grecque, la pomme symbolisait la tentation qui mène à la perte ou à la guerre, mais également à la beauté. Dans la tradition chrétienne, elle symbolise le péché originel et, dans la mythologie nordique, l’immortalité et les pouvoirs de guérison. Plus récemment, la pomme est toujours très présente dans l’imaginaire et se retrouve dans le conte pour enfants « Blanche-Neige et les sept nains » comme fruit empoisonné ou dans le mythe de Guillaume Tell. On peut également citer des symboles d’actualité avec les logos de succès commerciaux tels que les Beatles (Apple Corp.), les produits électroniques Apple ou le surnom de la ville de New York (« the big apple »).

Valeur biologique

Les vergers haute-tige font partie intégrante du paysage rural suisse4. A ce titre, leur préservation présente un intérêt historique, patrimonial et paysager important, auquel s’ajoute un intérêt phytogénétique*.

De plus, les vergers haute-tige jouent un important rôle écologique en tant que réservoirs de biodiversité* dans l’espace agricole4. Les arbres haute-tige font partie intégrante de l’habitat* de nombreux oiseaux, dont certaines espèces rares* en Suisse. C’est, par exemple, le cas de la majestueuse huppe fasciée (Upupa epops), qui est réapparue récemment dans le canton après vingt ans d’absence22.

Les cavités des vieux arbres sont colonisées par des espèces cavernicoles* comme l’oreillard gris (Plecotus austriacus) ou la chevêche d’Athéna (Athene noctua). Autrefois abondante sur le territoire helvétique, cette chouette a presque complètement disparu aujourd’hui7. A Genève, quelques dizaines de couples ont été répertoriés et se maintiennent bien, ce qui en fait l’une des populations les plus importantes de Suisse7, 8.

En vieillissant, le bois mort ou pourrissant des arbres accueille également une grande diversité de lichens, de mousses5 et d’insectes saproxyliques*. L’organisation du verger avec des zones de végétations de différentes hauteurs, des arbres de différents âges complétée de structures au sol telles que chemins agricoles, pâturages, buissons isolés, etc. offre une mosaïque particulièrement intéressante pour les oiseaux et un environnement riche en insectes16. Lorsque les surfaces au sol sont exploitées extensivement en prairie* de fauche, elles offrent un potentiel biologique équivalent à celui des prairies artificielles extensives et semi-naturelles extensives: les plantes à fleur sont nombreuses, diversifiées et constituent un garde-manger abondant pour de nombreux insectes (papillons, coléoptères, sauterelles) et mammifères (campagnols, lièvres, etc.). De plus, la présence de fruits et de bois morts tombés au sol augmente d’autant la quantité de nourriture disponible et donc l’attractivité de ces surfaces pour les petits animaux4, 5 (oiseaux, insectes, mammifères). Leur situation dans des espaces agricoles ouverts permet de diversifier l’espace et d’offrir des structures relais. Récemment, des études ont démontré que les surfaces extensives* telles que les vergers haute-tige favorisent le maintien des auxiliaires* des cultures dans l’espace agricole. Sur ces surfaces, la tolérance aux ravageurs* est plus élevée grâce aux prédateurs naturels (coccinelles, araignées, guêpes parasitoïdes*). La présence régulière d’espèces fleuries est également un facteur favorable aux insectes pollinisateurs (abeilles, syrphes). Tous ces organismes utiles aux cultures sont présents dans les vergers haute-tige et colonisent aussi les parcelles cultivées aux alentours. Si le rôle bénéfique des auxiliaires* est aujourd’hui avéré, la mise en pratique est encore discutée: quels types de surfaces extensives* faut-il privilégier? En quelle quantité? Dans quelle disposition spatiale?

Par ailleurs, certains vergers haute-tige jouent un rôle important en matière de conservation, lorsqu’ils sont plantés avec d’anciennes variétés de fruitiers ou avec des variétés locales qui tendent à disparaître. Pour garantir la préservation de ce réservoir génétique, susceptible notamment d’être utilisé à l’avenir dans la création de nouvelles variétés5, un réseau national de vergers conservatoires a été mis en place6, 21 et différentes initiatives visent à encourager la plantation de variétés anciennes chez les personnes privées comme chez les agriculteurs.

Il existe aujourd’hui plus de 20’000 variétés de pommes à travers le monde, dont plus de 1’000 en Suisse. Parmi cette diversité, les variétés dites «anciennes» ont tendance à disparaître avec la diminution de l’exploitation traditionnelle des vergers. C’est pourquoi plusieurs initiatives d’identification et de conservation ont été initiées. Durant les recensements réalisés par les organisations telles que l’Association Rétropomme ou l’Arboretum d’Aubonne, 36 fruitiers ont été «redécouverts» à Genève, dont une dizaine correspond à des variétés anciennes de cerises, de poires et de pommes typiques du bassin genevois. Ces variétés anciennes sont à présent intégrées dans le programme national de conservation des espèces et font l’objet de plantation dans les vergers conservatoires ainsi que de conservation dans les banques de semence. Des études génétiques sont en cours pour tenter de «démêler» l’origine de ces variétés pas ou peu connues. Des variétés de pommes presque sauvages ou des souches de noyers non greffés ont, par exemple, été découvertes et sont à présent rediffusées au vu de leurs caractéristiques intéressantes9.

Vulnérabilité et gestion

Evolution historique

Les vergers haute-tige ont peu à peu disparu dans l’agriculture, car ils ne répondaient plus aux critères de production et de consommation de ces dernières décennies. En effet, dans le contexte de rationalisation, de spécialisation et de mécanisation auquel l’agriculture suisse a été astreinte pour répondre aux nouvelles demandes des consommateurs et survivre face à la concurrence internationale, la production fruitière s’est drastiquement réorientée depuis le milieu du XIXe siècle15. Les vergers haute-tige correspondent à une production extensive* de moindre productivité et ils ont souvent été abandonnés au profit de formes de culture permettant la mécanisation. Le maximum de densité autorisée par l’OPD* pour la reconnaissance d’un verger haute-tige est de 120 arbres par hectares (à titre de comparaison, les vergers en production intégrée ou biologique* comptent en général 1’500 à 3’000 arbres par hectare)17.

La comparaison des premiers relevés de l’OFS*, réalisés après la Deuxième Guerre mondiale, montre que le canton aurait perdu plus d’une centaine de milliers d’arbres fruitiers entre cette époque et le début des années 199011. En 1991, le recensement fédéral identifiait à Genève un peu moins de 17’000 arbres3, 11, 12, contre plus de 130’000 en 1951, soit une perte de plus de 85% de l’effectif. Plus récemment, les CJB* ont réalisé une analyse de l’évolution des vergers sur quatre communes genevoises (Meyrin, ville de Genève, Collonges et Avully) en comparant l’occupation du sol de 1932 (sur la base de photographies aériennes) et celle de 2014 (d’après la carte des milieux naturels)14. Le résultat est édifiant! Ces communes ont vu disparaître entre 90 et 95% des surfaces dévolues aux vergers haute-tige14. Sur la base d’un dénombrement d’arbres réalisé par photo- interprétation sur 30 parcelles témoins, l’étude estime également que sur les 38’000 arbres fruitiers existants en 1932, il n’en resterait que 2’780 sur l’orthophotographie* de 2012, soit une réduction d’effectif proche des 93%14. Notons que ce chiffre est largement supérieur à la moyenne suisse obtenue par l’OFS*, qui estime à 30% la perte d’effectifs fruitiers entre 1951 et 199111.

Outre l’évolution agricole citée ci-avant, il faut aussi mentionner l’étalement progressif des structures construites (habitations, commerces, activités économiques). En se développant principalement à la lisière des zones d’habitations13, précisément là où la plupart des vergers étaient traditionnellement plantés, elles ont pris la place de ces derniers. Une comparaison des photographies aériennes de 1932, 1972 et 2014, centrées sur la commune de Meyrin, illustre clairement la régression des vergers situés à proximité directe du village, graduellement remplacés par des zones bâties15.

On peut toutefois supposer que, même si ces zones n’avaient pas été urbanisées, les vergers haute-tige auraient tout de même disparu dans une certaine mesure, ce mode de culture n’étant économiquement plus viable. Si, pour Meyrin, la réduction des surfaces de vergers a été drastique, cela n’a pas été le cas partout, ou du moins pas avec une telle ampleur.

Production et commercialisation

A l’exemple des pommes, historiquement transformées et largement consommées sous forme de jus et de cidre jusqu’au milieu du siècle passé, le marché s’est orienté vers des fruits frais requérant une période de garde qui a pu être énormément allongée grâce au développement de chambres frigorifiques et des transports. L’évolution de cette consommation ainsi que le contexte commercial internationalisé ont fait évoluer les critères de production vers une offre en fruits basée sur une qualité gustative de consommation des fruits de table (contrairement à la croyance populaire, la plupart des anciennes variétés était prévues pour le cidre), ainsi que de nouveaux critères visuels et de conservation. Les producteurs ont alors exploité de nouvelles variétés répondant à l’évolution des mœurs. Ils ont également développé de nouvelles techniques de plantation et de protection contre les maladies, telles que la tavelure (maladie qui crée de petites taches sur les pommes) qui avaient auparavant moins d’importance. Les vergers haute-tige représentent donc un système de production aujourd’hui incompatible avec la demande de la grande distribution de fruits calibrés, de haute qualité visuelle et de longue conservation. En termes d’exploitation, les arbres haute-tige rendent les travaux de production (taille, traitements phytosanitaires, régulation de la charge, etc.) beaucoup plus difficiles. En effet, l’accès par des échelles comporte des risques de chute et les travaux d’entretien ne sont pas ou peu mécanisables. La mise en production étant tardive, les vergers haute-tige représentent également un investissement sur le long terme, impliquant des risques économiques élevés pour les agriculteurs. Au vu de la disparition des vergers haute-tige, des soutiens étatiques ont été mis en place au début des années 1990 par le biais de la politique agricole fédérale pour maintenir les vergers existants et en limiter l’arrachage.

Préservation

Récemment, grâce à une prise de conscience de l’importance de ces vergers, des efforts ont été réalisés pour valoriser les produits des vergers haute-tige. Face à l’érosion des surfaces qui leur étaient dévolues, l’association Pro Natura a lancé, dès 1993, un projet intitulé «Vergers haute-tige». Cette initiative, soutenue par la DGAN*, cherche à sensibiliser les citoyens au rôle paysager et écologique des vergers haute-tige, tout en œuvrant concrètement pour leur maintien3. De nouvelles plantations, ainsi que des mesures destinées à assurer le renouvellement des vergers existants sont, par exemple, régulièrement entreprises3. Des conseils sont également prodigués aux propriétaires afin d’assurer l’entretien sur le long terme, car peu de personnes détiennent encore le savoir nécessaire pour gérer de tels vergers. La promotion de mesures favorables à la biodiversité* est également incluse dans les conseils. Il est notamment possible d’installer divers nichoirs, ce qui accroîtra encore davantage la valeur écologique des vergers et qui favorisera la présence d’abeilles sauvages (primordiale pour une récolte), de passereaux ou de chauves-souris5. De plus, le maintien sur pied de quelques vieux arbres ou d’arbres morts est un formidable atout pour la biodiversité*. L’entretien extensif* des surfaces herbacées* est également préconisé. Les pratiques recommandées s’apparentent alors aux modes de gestion décrits dans les fiches prairies artificielles extensives et prairies semi-naturelles extensives. Ces conseils «écologiques» complètent ceux donnés par l’Union fruitière lémanique qui met à disposition un bulletin mensuel pour les particuliers sur la conduite et l’entretien des arbres haute-tige19.

Si la qualité esthétique et commerciale des fruits produits par les arbres haute-tige n’est pas comparable à celle provenant des vergers en production intégrée et biologique, l’évolution de la sensibilité de certains consommateurs permettrait à l’avenir la valorisation des produits fruitiers haute-tige, à l’image de certains labels18 mettant spécifiquement en valeur les particularités de ces vergers à caractères historique et patrimonial. La production de jus ou d’autres produits dérivés est la principale filière de valorisation de ces fruits. La production Bio, sous label spécifique, voire la vente directe de produits artisanaux et/ou innovants semblent être à l’heure actuelle les meilleures pistes pour revaloriser les vergers haute-tige; les coûts de production restant trop élevés pour permettre une production rentable sans soutiens financiers spécifiques. Enfin, la plantation d’arbres haute-tige par des personnes privées, dans des parcs ou d’autres espaces publics, pourrait également contribuer au maintien de ce patrimoine. Des initiatives d’agriculture dite «écologique intensive» sont également testées (agroforesterie*, permaculture*, cultures associées*) et pourraient représenter des pistes complémentaires pour valoriser les fruitiers haute-tige.

Cartographie

Attention, les vergers haute-tige ne doivent pas être confondus avec les plantations forestières dévolues à la production de bois1, 2 ou avec les vergers en production intégrée ou biologique dont les fruits sont destinés à la grande distribution.

Dynamique

Les vergers haute-tige sont trop exploités pour présenter une dynamique naturelle. Ils sont entretenus et maintenus sous leur forme actuelle afin d’assurer leur exploitation.

Espèces

Chauves-souris
Oreillard gris Plecotus austriacus
Oiseaux
Chevêche d’Athéna Athene noctua
Torcol fourmilier Jynx torquilla
Rougequeue à front blanc Phoenicurus phoenicurus
Huppe fasciée Upupa epops
Orthoptères
Grande sauterelle verte Tettigonia viridissima
Lépidoptères
Carpocapse des pommes et des poires Cydia pomonella
Flambé Iphiclides podalirius
Coléoptères terrestres
Aegosome à antennes rudes Aegosome scabricornis
Bupreste du poirier Agrilus sinuatus
Anthaxia candens
Pique-prune Osmoderma eremita
Saperde à échelons Saperda scalaris
Horticoles
Cognassier Cydonia oblonga
Noyer royal Juglans regia
Pommier cultivé Malus domestica
Cerisier ou merisier Prunus avium
Griottier Prunus cerasus
Prunier Prunus domestica
Mirabellier Prunus domestica subsp. Syriaca
Prunier à greffer Prunus insititia
Pêcher Prunus persica
Poirier cultivé Pyrus communis
Auteurs
Sophie Pasche, Catherine Bertone, Yves Bourguignon, Pascal Martin, Florian Mombrial, Patrice Prunier